Exceptionnelement, je fais un copier-coller, il s'agit du billet d'humeur de Pierre-Michel Bonnot dans l'équipe d'aujourd'hui.
Généralement, je n'aime pas du tout son style, mais là, je vois qu'il a sorti les flingues de concours : tout le monde en prend pour son grade, jugez plutôt :
MONSIEUR LE PRESIDENT
JE VOUS FAIS UNE LETTRE que vous lirez peut-être dans
l’avion du retour d’Allemagne où, enthousiaste comme
la France vous sait, vous vous régalâtes certainement,
quel qu’ait pu être le sort reservé aux Bleus de votre
coeur.
Qu’il nous soit tout d’abord permis de vous remercier ici
pour l’une de vos plus brillantes initiatives. Franchement,
quand on voit comment nos vieux, l’équipe de
France, Lionel Jospin, Jean-Marie Le Pen, vous-même,
se comportent sous la canicule on ne regrette pas notre
lundi de Pentecôte.
C’est sans doute que, la sagesse volant au secours de
l’âge, tous savent bien que l’important, c’est de RÉ-CUPÉ-
RER, et avouez que dans le genre, le leader du Front
national a fait fort en ressortant sa rengaine moisie sur
la teinte dominante de notre équipe nationale.
N’étant pas du genre à aller à Francfort avec vos saucisses,
comme on dit trivialement des jeunes gens qui
oublient d’emmener leur fiancée au carnaval de Rio, vous avez sans doute fait le plein outre-Rhin de colifichets tricolores.
Aurez-vous noté, Monsieur le président, à quel point
l’écharpe des supporters de l’équipe de France est
rêche ? Ça vous a sur la nuque des rudesses de corde de
chanvre tout à fait désagréables, ce qui donne parfois à
nos pauvres supporters des airs contraints de bourgeois
de Calais en voie de se soumettre à l’Anglois.
Sauf votre respect, Monsieur le président, il nous semble
bien que c’est un peu de votre faute.
En invitant l’autre soir la France à « un soutien sans
faille » des Bleus, vous avez donné un caractère obligatoire
et républicain à la fonction de supporter qui a eu
tendance à étrangler un peu un pays où l’on n’a pas
inventé pour rien l’expression « voler au secours de la
victoire ».
Et ce journal, tondu à la libération de 1998, par toute
une bande de résistants de la dernière heure, peut
témoigner que le pays ne manque toujours pas de jarret
dans la dernière ligne droite. Là où vous poussâtes sans
doute le ballon un tantinet profond, Monsieur le président,
c’est en invitant les « commentateurs » à joindre
leur voix à ce soutien sans faille. Il faudrait donc, lorsqu’on
parle d’une équipe de France, renoncer au libre
arbitre pour endosser le maillot de supporter-captif.
L’à-peu-près sémantique se double ici, Monsieur le président,
d’une injonction à rebrousse-poil de nos vocations.
Si vous parlez des « commentateurs », ceux des télés
qui payent fort cher le droit de voir le sport en rose,
sachez que leur soutien vous est acquis, ainsi qu’en
témoigne la récente interview d’Estelle Denis à VSD, où
la charmante commentatrice de M6 affirmait qu’un
journaliste n’était pas là pour avoir une opinion. Le
genre Woodward et Bernstein du XXe siècle, voyez,
« l’info, coco, rien que l’info, toute l’info… euh, non pas
toute l’info, Raymond ne veut pas ».
Si vous voulez parler du restant de la
confrérie qui a la chance de travailler
pour des médias qui ne payent pas
pour voir, sachez qu’elle continue à
considérer bêtement que « sans liberté de blâmer, il
n’est point d’éloge flatteur ».
Et s’il est vrai qu’en politique les deux exercices sont
également compromettants, sachez qu’en matière de
sport ils coulent sous la plume.
C’est peut-être, voyez-vous, que le journaliste de
L’Équipe en est le plus souvent un ancien lecteur, un
gamin qui se précipitait sur les notes de son équipe favorite
pour voir s’il était d’accord avec le journaliste
d’alors, qui dévorait les comptes-rendus de match pour
s’assurer qu’il avait « bien vu le même match ». Ou pas.
Bref, comme la grande majorité de ses confères journalistes
de sport, c’est un passionné de longue date et on
ne vous apprendra rien, Monsieur le président, en vous
rappelant que les passions premières ne se commandent
pas.
PIERRE-MICHEL BONNOT